vendredi 4 avril 2008

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C’est la deuxième fois ce matin qu’il me fait le coup. Cette fois-ci, il a surgit d’entre deux voitures, alors que la dernière fois, il semblait attendre « quelque chose » sur le banc qui borde le trottoir.

Nos regards se sont croisés. Je ne l’ai pas vraiment reconnu, mais à la façon qu’il a eu de me fixer, je savais que c’était lui, puisqu’il m’avait reconnu. Plutôt qu’un regard « qui balaie », lorsque l’on croise le regard de quelqu’un dans la rue, et qu’une fraction de seconde plus tard on veut poser ailleurs, il m’a fixé quelques secondes de plus. Je me suis dit « ça y est, c’est encore lui ». Je l’ai dépassé. Je fais des grandes enjambées, je pensais le devancer suffisamment pour avoir la paix. Il y avait des gens devant et derrière moi, à quelques mètres, ça aurait du suffire à me rassurer. Mais je l’entendais, quelques pas derrière moi. De manière un peu puérile, un peu naïve, j’ai sorti mon canif que j’ai miraculeusement retrouvé ce matin (depuis 2 semaines je le cherchais!)…il était dans ma poche de manteau où il est toujours. Triple nouille. J’ai ouvert la ridicule lame de 2 pouces, et je l’ai remise dans ma poche. Évidemment, je me suis piqué avec, et dans l’état de nervosité où j’étais, ça m’a fait sursauté. Puis, des pas de course. Mais qu’est-ce qu’il me veut?!?! J’ai bifurqué dans le stationnement devant un logement, mon chemin habituel, celui qui mène au raccourci (celui d’où est sorti un gars qui venait de se faire poignarder, du moins à ses dires, vous vous souvenez?). Il a dépassé le stationnement, mais je l’ai vu accélérer le pas, et je me suis dit; merde, il prend le chemin perpendiculaire, quelques mètres plus loin, celui qui est bordé d’une haute haie. Ce qui veut dire qu’une fois que j’aurai longé le derrière du bâtiment, il me prendra par surprise lorsque je serai obligée de passer à travers le chemin étroit qui s’est fait un trou dans les buissons. L’embuscade parfaite.

Tout aussi puérilement, je remonte la fermeture éclair de mon gros manteau duveteux. S’il m’attend avec une lame, peut-être que mon manteau amortira le coup.

J’avais encore les mains occupées sur ma fermeture éclair, et donc les mains hors des poches, et donc le canif hors de portée, lorsque je l’ai vu. Il m’avait pris d’avance, je ne m’attendais pas à le voir là. Il se tenait, appuyé, sur le mur de brique du bâtiment que je longeais. J’ai sursauté, mais je n’ai pas voulu montrer ma peur. Tout en continuant de marcher, j’ai lancé, en mettant le plus d’assurance possible dans ma voix; « Why are you following me?!?! »

Il a répondu quelque chose qui ressemblait à « Ago, Ago ». Tout aussi incompréhensible que la première fois qu’il m’avait suivi, et qu’il m’avait crié quelque chose d’inaudible… mais cette première fois, il s’était tenu pas mal plus loin. Il semble prendre de l’assurance à chaque fois, et fait de moins en moins d’efforts pour se cacher.

Je l’ai dépassé. J’ai continué ma route, comme quelqu’un qui ne s’inquiète pas outre mesure. Mais j’ai passé mon temps à me retourner. Et jusqu’au bout du raccourci, je le voyais de loin, qui me gardait à l’œil. Je n’ai été rassurée que lorsque j’ai été rejointe par d’autres qui sortaient du stationnement/cour à scrap où je m’étais aventurée.

Maintenant, je me demande réellement si je vais continuer à prendre ce raccourci…

La question ne se poserait pas, s’il était grand, fort et semblait dangereux.

Mais il n’a pas plus de 11 ou 12 ans.

Eh oui, ce n’est qu’un enfant. Est-ce Londres qui me rend parano à ce point-là? Est-ce la criminalité des jeunes ici qui m’épouvante, et plus particulièrement (désolée mais c’est la réalité) des jeunes noirs? Toujours est-il que je me sens plutôt ridicule d’avoir peur d’un enfant… Évidemment, je suis très bonne pour me faire 10 000 scénarios dans ma tête. Pour moi, il y a trois possibilités;

1. Il est dangereux et n’attend que le bon moment pour me sauter dessus avec un couteau, possiblement pour commettre son premier crime et s’en vanter à ses petits copains (je sais, dit comme ça, ça parait encore plus ridicule).

2. Il a un complice plus âgé qui l’attend dans le raccourci, et au moment opportun, quand le chemin sera complètement libre, il lui fera signe et ils me sauteront dessus à deux.

3. Il sait que c’est un coin dangereux (et effectivement ce l’est à la nuit tombée, en tout cas selon mon propre avis… mais à 8h du matin, il me semblait que c’était « too early for crime »), et puisqu’il sait, lorsqu’on se croise au début de mon chemin, que j’emprunterai ce fameux raccourci semé de dangers, il tient à me suivre et à s’assurer que s’il arrive quelque chose, il pourra intervenir ou aller chercher des secours (ce qui expliquerait pourquoi la dernière fois, il m’a crié quelque chose lorsque j’étais rendue à l’amas de déchets et de gros containers qui est effectivement une bonne planque, du moins dans le noir).

Il y a aussi une quatrième option, que je trouve totalement ridicule (oui, plus que les 3 autres!), et c’est l’idée de Guillaume; le petit aurait un « kick » sur moi (béguin), et il me suivrait pour cette raison, toute innocente et enfantine d’un premier amour visuel et à distance.

N’importe quoi.

Maintenant, je n’espère qu’une chose; croiser le petit morveux alors que je suis avec Guillaume (qui m’accompagne environ un matin par semaine, lorsqu’il commence tôt), et lui demander, dans le blanc des yeux, « C’est quoi ton problème?!?! ».

Néanmoins, s’il est réellement là pour surveiller le passage et s’assurer que j’arrive à bon port au bout du raccourci, ça pourrait être relativement rassurant (tout le contraire d’en ce moment…) et même plutôt galant…

Ah, moi et ma parano!

6 commentaires:

Pur bonheur a dit…

Tu devrais éviter les raccourcis! Sinon, prochaine fois que tu le vois, sort ton cellulaire fait semblant de prendre une photo de lui et de l'envoyer à quelqu'un.

Anonyme a dit…

J'ai pensé de suite à un amoureux transi. Oui, tu es une belle jeune femme, Tania. Mais tu arrives à me mettre froid dans le dos et à me faire avoir peur pour toi. Alors ne prends plus ce raccourci, ok????!!! Ou alors, j'suis d'accord, faut le prendre entre 4 yeux et savoir ce qu'il veut...
A suivre...

Anonyme a dit…

... ou il n'a pas mangé depuis plusieurs jours et il a faim et soif; il a tout de suite vu en toi une personne bonne, généreuse... il a besoin d'aide et il a peur de te demander, ou il est trop gêné, ou il ne sait pas comment faire... ??? ...

Bon, on ne peut pas m'empêcher d'essayer de te rassurer (et rassurer maman au loin par la même occasion...)

Comme tu le dis si bien: n'importe quoi!... :-)

Blue a dit…

Évite les raccourcis, Tania, je n'arrête pas de tomber sur des articles sur la violence chez les jeunes Anglais (le Time magazine, notamment). Tu ne connais pas ses intentions mais ce n'est quand même pas un comportement normal, même pour un enfant "amoureux" (il guetterait ton passage mais ne te suivrait pas de la sorte il me semble). Et si c'est pour faire l'ange gardien, ça veut dire que le coin est dangereux, non? Que pourrait-il vraiment faire pour te protéger en cas d'attaque de toute façon?

J'ai adoré ma vie à Londres mais je ne me suis jamais sentie en sécurité le soir, seule, et même dans le métro j'ai croisé des regards qui transpirent une grande violence chez des adolescents. J'en ai encore froid dans le dos et j'étais accompagnée!

Beo a dit…

Je suis du même avis que Blue... sans vouloir alimenter ta parano: l'été dernier, une jeune étudiante suisse a été poignardée dans un champs qui était un raccourci bien connu et utilisé par plein de gens.

Ils ont trouvé le coupable mais à quoi bon risquer ta vie.

Tu devrais varier tes trajets sauf le matin où Guillaume t'accompagne, ça tromperait l'ennemi ;)

Tania a dit…

Bon... évidemment, je dois vous le dire, j'ai fait exprès de vous raconter ma matinée de la manière la plus angoissante possible. En vous gardant l'âge du gamin pour la fin, pour vous laisser le doute. Petite tactique "suspense". Je me doutais que ça inquiéterait ma maman, ce qui n'est pas très gentil... Mais je vois que mon procédé a très bien marché, et la tout le monde me dit de ne plus prendre le raccourci...*hahaha* Bon je dois avouer que je suis plutôt d'accord, c'est pas l'endroit idéal où être, quoique je pense tout de même que à 8h du mat, les petits délinquants sont plutôt entrain de se remettre de leur nuit mouvementée (plutôt que de se planquer dans une ruelle en espérant vider les poches d'une passante!)

Tout de même...merci pour les avertissements de crimes macabres (hahhaah), j'en suis bien consciente, et d'ailleurs j'ai arrêté de lire les journaux gratuits (Metro, Lite...) pour ça. Trop sanglants, à 8h le matin. Ça me dégoûte pour la journée entière.

Bon, je vais essayé de l'emprunter moins souvent... de manière irrégulière ;o) Si ça peut vous (me!) rassurer... Mais tout de même... faut contrôler ma parano, il n'y a probablement rien d'alarmant dans toute cette histoire... (oui oui j'insiste! Tout comme, il y a à peine quelques années, je regardais encore dans mon garde-robe avant d'aller dormir, ou j'évite encore les fenêtres du premier étage en pleine nuit, tellement j'ai peur d'y voir un visage, oui oui, faut vous le dire, je suis une parano totalement irrationnelle!)